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Bonjour Guillaume, tu es un créatif multi-casquettes, quel a été ton parcours ?
J’ai toujours voulu faire de la publicité. Ou presque. Enfin pas directement. Je m’explique.
Petit, (j’ai grandit à Lyon) j’étais nul en foot, je ne m’intéressais pas aux bagnoles, ni aux moteurs, bref un vrai paria.
Mais ce qui me plaisait c’était les BD, les films, la SF, les robots, les extra-terrestres, les dinosaures, bref les histoires. Alors comme tant d’autres, je me suis mis à faire des BD pour en raconter : un superman-chien (qui se battait contre des dinosaures et les Atlantes), un album d’Asterix (avec des dinosaures, sur l’Atlantide), des Dingodossiers (sur les dinosaures, ou sur l’Atlantide), etc. Vers 78 j’ai fait mon premier journal, le Dragon Déchaîné (J’avais hésité longuement avec « Dinosaure » et « Atlante »). Un truc plein d’histoires pour les copains : comme ça, je pouvais être nul au foot et sur les bagnoles. Attention, c’était pas un fanzine, mais un vrai journal avec des rubriques, des BD, des textes, des blagues inspirés des copains et… des parodies de pub! Dans les années 70, la pub était magique, drôle, jouissive. Alors forcement, c’était naturel la pub.
Mais bon, le premier vrai déclic (à par Hal Foster, Disney ou Gotlib), c’est Pierre Malaquais dans Le Distrait : je me dis tiens, c’est un métier génial, ils ont l’air d’engager des types bizarres, nuls au foot, et puis ils font des dessins, des histoires rigolotes, des films, bref, ils sont payés pour exercer leurs passions!

Bon, il faut dire qu’à l’époque (début 80’), les brochures d’orientation, était conçues pour te dire d’être sérieux. La publicité ? Formation de vente ou de commerce. Le mot créatif n’était pas mentionné. C’est tous juste si on te parlait de « directeurs artistiques », présentés comme des exécutants graphiques… Avec mes petits mickeys, je me dis que vu que je dessine, autant faire une école de commerce, comme ça j’aurai les deux côtés du métier. En plus, c’est long, j’aurai le temps de dessiner encore plein d’autres BDs. Après le bac vers 86 ( Un Bac D, Biologie et Sciences, parce que C, c’était vraiment pas possible, ces gars aimaient non seulement les bagnoles et le foot, mais aussi les maths, au secours!), un an de prépa HEC, et c’est parti pour Paris, la ville lumière, ciao la province, et puis l’ISG (Institut Supérieur de Gestion) ça fera l’affaire.

Quand mes camarades se promenaient déjà en costard avec une mallette dès la deuxième année, je continuais les dessins, les affiches de soirée, la pub de la campagne du BDE. Et puis en même temps que le marketing, je me mets à la mise en page et la typo. Depuis le début des 80’, grâce à mon frère, ça me fascinait déjà, à cause des pochettes de disques (Neville Brody pour Cabaret Voltaire, Peter Saville pour Factory, Mark Farrow, Designer Republic, etc.) Mais là, il y a révélation The Face: le magazine le mieux habillé du monde… et le mieux designé ! Un magazine, c’est du design à épisode, c’est Balzac qui ferait de la mise en page, tu déclines, tu joue, tu explore, c’est génial. Et comme il y a un mac au Bureau des élèves (on est en 89 : c’est un Mac 128), je peux m’y mettre, à commencer par le journal de l’école.
Quand je fais mon stage de fin d’étude, c’est dans un petit studio de création à faire de la PAO et des flyers, pendant que les autres sont au Crédit Lyonnais ou chez Danone.
Un an de service militaire (à assister les psychiatres – encore une expérience assez étonnante) et là, (on est en 1991-92) je cherche du boulot dans la pub avec un doss, écoutes, franchement, c’était un truc pas possible, format Grand Aigle, avec des peintures, de pochettes de disque de techno-house à la TDR, des fausses pubs pour Sony avec Larry Heard et Front 242, un pub VW avec Le Prisonnier, n’importe quoi !

J’appelle chez BDDP et là j’ai un bol extraordinaire : Pierre Gauthronet me reçoit. il faisait ces super pub Mazda (à la Brazil – Terry Gilliam!).

Pierre n’est pas vraiment un geek, mais il est adorable, et il me dit que Pollet-Villard et Babinet cherchent un nouvel assistant. C’est parti.
Je suis resté leur assistant presque 2 ans. Donc esclave volontaire de Rémi (caustique, malin, cynique), et Philippe, (drôle, malin, obstiné comme le savoyard qu’il est). Philippe m’apprend surtout la simplicité, l’efficacité, les idée claires, et à lui photocopier tous les bouquins de la terre pour les piges de ses free-lances. Il est maintenant écrivain, et réalisateur oscarisé pour son court métrage. Malin, je te dis!

BDDP était un terreau génial. C’était aussi la grande époque de CLM de DDB, mais BDDP était plus protestant, plus sérieux. Il y avait Marie-cath, sagace et féminine, par rapport à Philippe Michel chez CLM, flamboyant, ou la bande de DDB, Bernbachiens mais surtout populaires et drôles (l’époque de La fourmi VW, de Vince, de Jouy & Scher, et déjà de Gaultier, etc).
Marie Catherine Dupuy et Jean-Marie Dru avaient fabriqué une agence intellectuellement très structurée, avec des commerciaux bien formés, et des créatifs dans tous les genres : Jean Pierre Barbou, DC/planeur génial, Midavaine et Chadenat, Lacoste & Bartuel, Jalabert & Gauthronnet… chacun avec un vrai style perso.

Donc j’apprends la DA. C’est passionnant. Je dévore les Bouquins de pub que m’a donné Philippe : D&AD et surtout les Communication Arts. Avec ces pubs à l’américaine et ces grosses accroches malines en Futura Extra-bold Condensed.
Avec Yves Loffredo, on les commande en gros aux US. C’est quand même plus satisfaisant de recevoir ta caisse de 15 bouquins que de télécharger des jpeg sur internet… et puis on n’avait pas le choix!

Mais voilà : même si tu peux passer des heures à t’éclater à peaufiner une mise en page (avec la photocopieuse et ta bombe de colle), le moment ou tu sens que tu craques une campagne c’est quand tu te dis « c’est ça l’idée ». Quand tu as pris le brief et que tu l’as transformé en une pensée publicitaire. Et cette pensée s’écrit avec des mots : Sujet+verbe+complément. Avec les mots, tu attrape les gens par leur esprit. Alors oui, la forme est très importante, mais elle sert à entrer en communication avec les gens. C’est la parabole du vendeur d’aspirateur bien habillé : tu frappes à la porte, et tu as 3 secondes pour qu’elle ne se referme pas. Ensuite seulement tu peux leur parler, et peut-être les convaincre.

Mais croire que la culture est devenue totalement visuelle est un leurre : c’est le ver de terre. L’hameçon est dedans, et ce sont les mots. Même cachés, même exprimés visuellement. Tu peux résumer n’importe quelle pub en une phrase. Et quand tu l’as, alors tu peux l’exprimer de milliers de manières différentes.

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Donc, merci David Abbot, Tim Delaney , Lee Clow, et autres Chiat/Day : je veux écrire mes accroches. 
Le DC de l’époque, Jean-Claude Jouy, (autre figure du métier…le film Samsonite, bon sang!) me laisse passer rédac. Moi et mon dictionnaire tout neuf.
Me voilà CR, parmi tout un tas de gens très forts et sympas (Helias et Carreño, Hervé Lopez, Courtemanche & Villoutrey, Nathalie Dupont, Delhomme, etc). Et puis surtout Oliver Altmann, un modèle et un type impressionnant. Stratège, carré, organisé, bosseur, déjà de la graine de patron! Et chez BDDP, les seniors formaient leurs juniors. Quand Rémi Babinet part, Olivier Altmann prend le relais, et à sa manière, sans trop y toucher, c’est lui que me montre comment devenir plus qu’un rédac, et à penser « publicitaire ».
Puis Olivier part de BDDP pour faire BDDP&Fils.

Et puis il faut grandir. Je pars donc chez CLM BBDO avec un AD, Bernard Lebas. C’était un CLM post Philippe Michel, avec Christophe Lambert et Anne de Maupeou. CLM BBDO, dans le bateau en fer créé par Jean Nouvel sur l’île Saint Germain, est une drôle d’agence. On y trouve un faiseur de film génial comme Naville qui tient France Telecom, Temin&Delacroix qui font Kookai, et puis Fred&Farid qui y font le grand numéro de Fred&Farid pendant quelques mois.
Ça rit, ça pleure aussi, c’est étrange. La filiation avec BDDP restait forte (J’avais quitté Marie Cath et Jean Claude pour travailler avec le mari de l’une et la femme de l’autre !). Mais c’était difficile de se faire une place dans ce navire. Et puis on ne fait pas de films, c’est réservé aux seniors…petite frustration, donc.
Bon, on fait quand même quelques chouettes campagnes comme France Inter, et en même temps, j’apprend la programmation HTML (on est vers 98), le javascript et autre SQL pour faire mes sites de typo.

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J’en suis là quand, par un ami, arrive encore un coup de bol : Gabriel Gaultier nous appelle chez Y&R.
Gabriel est un ovni. Le type qui a fait RATP (« La pollution on lui dit M »). Un créatif hors-norme, déjà le meilleur de sa génération, et le plus barrée. Et on se découvre plein de points communs. Le mêmes goûts pour Delaney, les pubs Timberland, la rédaction anglo-saxonne.

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Jean Yanne aussi, et la vraie bonne pub des années 80. Et puis il a commencé AD lui aussi, et sous ses dehors barrés, c’est surtout un gros bosseur! Admiration, donc.
Et j’ai la chance d’arriver au moment de la compétition Décathlon qu’on rentre ensemble.
 C’est la grosse campagne de relancement de Décathlon, avec les missions-tests, l’affiche des policiers, etc.Au passage, je me mets en team avec un super AD que j’avais connu chez BDDP : Cédric Moutaud.
Décathlon est à la fois un succès créatif et un vrai succès public, et même un Effie. Carton plein.

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Là aussi, au passage, plein de gens géniaux autour de nous pour se tirer la bourre : Potel&Lebec (voisins de bureau aussi géniaux qu’impayables), mais aussi le grand JC Royer, Gounaud et Begbeider qui prépare déjà sa sortie (et son livre 99F). Donc on bosse sur plein de trucs, il y a des prix, et une super ambiance…
puis Gaultier part de Y&R pour faire Leg.
C’est une malédiction ou quoi ?!

On reste encore un peu chez Y&R, on suit nos budgets, et puis au bout d’un an, le téléphone sonne : Erik Vervroegen au bout du fil ! 
Comme beaucoup, on rêvaient de faire de la pub à la Hegarty, de briller à Cannes, mais surtout au D&AD. Comment apprendre à faire ça ? On hésitaient à bouger à l’étranger, et boum, c’est l’Etranger qui vient à Paris! Et en plus dans la famille, chez TBWA, ex-BDDP! Donc on y va.

Le souffle de l’aventure est là. L’agence est sur le devant de la scène international, le niveau est formidable. C’est une période super, dure et même violente, mais super. Erik est là pour que ça brille et il en met plein la vue. Ah, ils veulent du Marcello Cerpa ? Il va les battre à leur propre jeu! Oui, ce n’est pas Hegarty, c’est une lutte de bête à concours, mais regardons bien : tout ceux qui critiquaient sont ceux qui le parodient veulement aujourd’hui, et masquent la faiblesse réelle de leurs agences à coup d’illusions métalliques.

Vervro l’a fait au bon moment, avant les autres, et avec un professionnalisme impressionnant. il faut avoir vécu ça pour comprendre. Il partage les ficelles du métier, fait des conférences, c’est un leader, il entraine les gens, même les plus réticents. Le premier lion de stagiaire en France, c’est lui qui l’obtient!

Grosse pression aussi : il est là tous les matins pour relever les compteurs dans ton bureau. Pas grave, vu qu’on a toujours préféré arriver tôt pour bosser : « Hitler n’a pas envahit la Pologne à 10h du matin », dixit Gaultier…et Vervro pousse les frontières, c’est sûr : 10 idées par jour, pas moins ! Chercher jusqu’à la dernière minute ! Améliorer jusqu’à la dernière seconde ! C’est une drogue. Enfin, une de plus, la seule vraie. Et tu ne peux qu’aimer ça : à l’époque j’écris même pour Erik le « serment des pirates » des Lions Hunters que nous sommes tous, du stagiaire au vieux senior, et qui dois encore trainer quelque part à Boulogne.

Et ça marche fort : Helias & Careño gagnent le grand prix (PS2) :
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puis c’est Taroux & Leroux (EMI) :
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nous on gagne des lions de toutes les couleurs, et Erik nous fait confiance parce qu’on est seniors et qu’on s’occupe aussi des sujets sérieux (esprit Dru/MaryCath Dupuis oblige!).
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Mais après 4 ans, les choses s’émoussent. Les travers aussi sont là. Et puis – Erik devient-il moins utile parce que le boulot est fait ? – la machine tourne un peu à vide, et la situation se dégrade lentement. C’est là qu’Altmann nous appelle de chez Publicis.
Pour une fois, c’est nous allons partir ?
Non.

Érik veut nous garder et nous passe DC sur SNCF (j’ai dans les 37 ans). Je me dis « génial on va apprendre le métier de DC avec un type de niveau mondial comme Vervro, et puis on reste en famille TBWA». Donc avec Cédric Moutaud on accepte.
Ça tient 2 mois. C’est injouable. Le colonel Kurtz ne lâchera jamais. Keith Richard aime trop sa guitare.
Et je croise Marco de La Fuente, ami connu chez BBDO qui me propose de passer DC chez BDDP & Fils, qui avait du mal à se remettre du départ d’Altmann.
On s’en parle avec Cédric, mais DC, très peu pour lui. Du coup on se dit au revoir : je deviens DC chez Bddp&Fils, et lui part DA chez Leg rejoindre Gabriel Gaultier.

Je fais mes vrais premiers pas de DC. J’apprends.
En 2007, l’agence est un peu à l’ombre de TBWA, forcement, mais avec Marco, plus encore que de digital, on a envie de multimédia. BDDP & Fils est une agence très agréable, pleine de gens sympas et compétents, seulement un peu déboussolée à l’époque. Et on lui remet le Nord en haut, en particulier avec la campagne Fondation Abbé Pierre. David Derouet et Emmanuel de Dieuleveult signent non seulement un lion, mais aussi le Grand Prix de l’Affichage, le prix de la campagne citoyenne, bref des prix en tout genres. Bon le club des Ad a fait la fine bouche, mais tiens, pas plus tard que le mois dernier, elle vient d’être nommée meilleure campagne depuis 40 ans par le public au Grand Prix de l’affichage !
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Déjà à l’époque, on est fier, d’autant plus que c’est un sacré boulot collectif : Marie à l’Achat d’art, Irache au commercial, et tous les autres – je vous oublie pas les amis!- bref, on est une belle équipe! Et on renoue avec l’époque Altmann : stratégique et créatif. Puis c’est le mur d’eau de Solidarités, Le film « Water & Ink » de Fabien Nunez, et quelques autres campagnes qui remettent l’agence sur les rails. Elle roule encore.
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Pour faire mieux, je me dis qu’il faut voir plus grand. Toujours ce vieux rêve de l’agence idéale (BBH, Mother, etc.) Mais j’apprend alors une nouvelle leçon : ce qu’un DC doit chercher ce n’est pas un endroit ni un projet, mais des partenaires sincères. Des gens qui ont foi dans la création et la publicité, pas juste dans leur plan de carrière. Ami créatif, si tu ne veux pas servir de fusible, il ne faut pas croire ce qu’on te raconte, mais avoir un seul objectif ; trouver ceux qui seront vraiment sur la même longueur d’onde, prêts à faire « équipe » au quotidien et à affronter les tempêtes avec toi. Pas facile à trouver… Mais ça viendra! Et puis il y a tant de projets à monter!

Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?
Je ne vois plus rien qui soit pareil. Nous renouvelons toutes nos cellules tous les trois jours : heureusement que ce métier change de fond en comble en 20 ans ! C’est rassurant, il est vivant.
Aujourd’hui plus rien ne nous est théoriquement interdits : on peut toucher à tous les médias, on peut utiliser tous les talents, depuis le typographe jusqu’au programmeur Objective-C ! Quel pied !
En fait, le métier est de plus en plus génial…mais les agences et les campagnes sont de pire en pires !
C’est paradoxal, non ?

Et cela se traduit par une vrai régression à la création : la seule réponse des managers à la réduction des marges étant de moins bien payer ceux qui la créé, les vrais seniors sont en train de disparaitre. Dans ce nouveau modèle d’agence, les DC deviennent des seniors surchargés et souvent infantilisés, déconnectés des clients. Quand aux juniors, sous-payés et jetables, ce sont les ouvriers multimédia d’idées qu’ils n’auront jamais parce que personne n’a le temps (ou le talent?) de les former. Un nouveau lumpen créativaria.
Ce n’est pas comme ça que l’on va faire des bonnes campagnes, ni de bonnes agences, et encore moins former de nouvelles générations.

Au final, les campagnes vraiment originales se comptent déjà sur les doigts d’un tyrannosaure. Mais celles qui atteignent le public et le touchent se compte sur les doigts de R2D2.
Il faut se regarder en face : les agences sont en apnées. Certaines sont déjà toutes violettes, prêtes pour le grand saut. Les grosses font le gros dos en espérant que ça passe, ou s’accrochent à des bouées percées (Fusions, acquisitions, prospections à 15, désolation et renoncement).

Les plus pathétiques ont l’air de croire que de s’acheter quelques idoles métalliques les aideront à flotter ! Pourtant, et c’est triste, jamais les prix n’ont été aussi inutiles. Ils ne célèbrent plus l’originalité, mais le conformisme international, et trop souvent la capacité à faire semblant de faire le métier. Mais surtout, ils ne ramènent plus de clients, et ne font plus sonner le téléphone des créatifs. Ils éloignent juste un peu plus les publicitaires du public… Il suffit d’aller en école pour le voir : jamais le fossé entre la perception du public et celle des agences n’a été aussi abyssal. La pub doit reconnecter avec le public, c’est une question de survie.

C‘est d’autant plus navrant que les clients n’ont jamais eu autant besoin de création pour se différencier, pour réussir. Et quand ils peuvent les voir en direct, ils adorent bosser avec les créatifs, nom de Zeus !
Ils respectent cette race de gens marrants dont la passion consiste à résoudre leurs problèmes à coup d’idées. Mais pas les danseuses, ni les onanistes, ni les beni-oui-oui encravatés qui les entourent parfois.

Mais les créatifs ne doivent pas se mentir : une bonne agence, c’est un team entre un créatif et un commercial (ou un stratège). C’est un travail d’équipe parce que seul on finit toujours pas être submergé, ne serais-ce que par la quantité de boulot, surtout si tu fais du multimédia… Et puis la vérité, c’est que toutes les grandes campagnes, tu les fais parce que tu as une vraie communauté d’esprit avec le commercial et le client. Sans ça c’est du viol, et l’agence le paye rapidement.

Et cette agence de rêve, alors ?
Bon sang, difficile d’abandonner ce rêve!
D’abord il y a autant de modèle que d’équipes DC/DG. Mais le point commun, c’est de savoir changer. Comment ? Changer les structures de travail? Je l’ai beaucoup défendu (travailler en team plus larges, être dans le plus-in, etc.).
Mais finalement, je vois qu’il faut d’abord changer nos mentalités. C’est long et il faut que cela vienne des gens, et en particulier des créatifs. Un bon DC doit inspirer le changement, sans l’imposer : c’est un boulot super difficile à faire. Regarde ce pauvre Didier Deschamps…
Et puis c’est long de changer! Cela se compte en années. Il faut reconquérir le temps. On peut faire un lion en quelques mois, c’est vrai, mais c’est du flan : pour reconnecter une agence avec 1/l’exigence, 2/ la qualité et ensuite 3/le succès (public!) et donc le business, il faut du travail, oui, et il FAUT DU TEMPS. Il faut avoir confiance, et tenir le choc ensemble. Sinon, c’est un château de sable : la marée finit toujours par gagner.

Ceci dit, le plus dur à changer, c’est nous, amis créatifs! Les agences se sont toujours construites autour du processus de création des campagnes. Elles ne changerons donc qu’à partir des idées elles-mêmes. Chaque campagne réussie façonne l’agence. C’est donc nous créatifs qui devons changer en premier. Et au passage, changer pour vendre à nouveau un talent si original qu’il ne rentre pas dans les tests des experts, qu’il nous redonne la main. Cesser de se voir comme des employés, des fournisseurs aussi. Ne pas se révolter contre le système entre deux tweets, ni exprimer notre personnalité dans d’inutiles posts Facebook. Mais développer des styles forts, et être obsédé par une seule idée : mettre le public dans notre poche. C’est en ayant le public avec nous que l’on reprendra le pouvoir. Le pouvoir de faire bien notre métier.

Et pour atteindre le public aujourd’hui, il faut aussi apprendre le nouveau langage du monde.
Je suis stupéfait de voir que personne ne pose la question centrale : ce n’est pas l’intégration, le digital et autres esbroufes. Le « viral » ? Foutaise! « Signé Klistax» les mecs ! Ils sont à l’ouest, rien de nouveau ! Chanel faisait déjà du viral en 1925 pour lancer son premier parfum!

La question c’est de reconnecter avec le public d’aujourd’hui en utilisant la rhétorique d’aujourd’hui. On est en train de vivre un changement profond, qui n’est pas un changement de media mais un changement de rhétorique : la narration multimédia va supplanter toutes les autres. Le langage de l’avenir, ce n’est pas le film ou la video. Ce n’est pas le print. Le public n’a pas le temps de regarder un film sur un écran dans le métro ! Et si c’est pour faire des affiches ou le titre et le logo bougent, on va juste les rendre moins efficaces!

Le vrai nouveau langage, cet hybride qui va envahir ces écrans qui sont de plus en plus omniprésents, il faut aller le chercher quelque part entre la BD et Steve Jobs. Entre la narration séquentielle et les présentations multimédia. Et il devra être à la fois aussi fort et rapide qu’une affiche, aussi attirant que l’image animée, aussi narratif qu’un film, mais plus court, marcher sans le son, et entrainer le spectateur vers le contenu dans l’enthousiasme.
Au final, c’est comme ça que la pub sera si géniale que les gens la réclame !
Que la réclame sera si géniale que les gens la pub ! Qu’elle sera aimée et désirée par le public. Et pour ça, il faut que les publicitaires aiment à nouveau le public.… comme dans les année 70-80! Myriam is back!

Que donnerais-tu comme conseil à un team de stagiaire qui veut débuter ?
Apprendre. Et donc choisir ceux qui vont t’apprendre avec soin.
Parier sur le travail. Parier sur l’intelligence plutôt que l’esbroufe. Parier sur les idées. C’est la seule chose qui reste quand tu entres en réunion avec le client. Le reste, c’est des péripéties. Parier sur soi aussi, et sur sa propre capacité a trouver encore mieux.
Aller voir les clients. Ne pas se laisser voler ce lien essentiel pour bien faire notre métier.
Ne pas confondre notre artisanat (modeste) avec l’art.
Ne pas se mentir avec les gloires trop partagées pour être honnêtes ; quand tout le monde aime ce que tu fais, il y a deux solutions : c’est soit si génial que ça transcende tout (bon, c’est pas tout les jours, hein!), soit c’est tellement consensuel que personne ne peut détester. Et si personne ne déteste, alors personne ne peux aimer non plus, et tu ne toucheras personne. Dans l’espace publicitaire, personne ne t’entendra crier…

Être sincère aussi. Ne pas faire dans le second degré, c’est un truc de défaitistes et le public le sent, même inconsciemment.
Être premier degré ! Les Tontons Flingueurs c’est bien parce que c’est premier degré, bon sang! Et c’est imbattable!
Et puis relire Desproges et Saki, revoir Excoffon et Vaughan Oliver, réécouter Ian Curtis & Richard D James, et ne jamais oublier que notre métier est d’être anticonformiste, mais avec tact et Élégance.