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Bonjour Julien tu es rédac chez JWT New York, quel a été ton parcours ?

C’est la puberté qui m’a fait aimer la pub.
Il faut savoir qu’à une époque, M6 diffusait des films érotiques le dimanche soir vers une heure du matin, et le jeune adolescent en pleine crise hormonale que j’étais était bien décidé à rester éveiller pour apercevoir un bout de chemisier transparent.
Sauf qu’avant le film, il y avait une émission : Culture Pub. Je me suis mis à découvrir les publicités les plus créatives du monde tous les dimanches soir, et je me suis rendu compte que la publicité pouvait être drôle, créative et passionnante, au point même, qu’après l’émission je coupais le téléviseur en oubliant l’objectif premier de cette veillée hebdomadaire.

Du coup, j’ai fait des études dans la communication, et je me suis fabriqué un portfolio fictif avec les bases de photoshop que j’avais appris dans mon coin. J’ai présenté mon dossier chez BETC à Jean-Marc Tramoni, qui m’a conseillé d’être rédac plutôt que DA (je me suis, depuis, juré de ne plus faire de détourage à la baguette magique).
J’ai donc fait un premier stage chez BETC, où je me suis retrouvé à faire principalement des radios avec pour objectif d’un jour pouvoir avoir le talent de Benjamin Sanial, qui écrivait des textes incroyables en toute modestie, même lorsqu’il s’agissait d’envoyer un mail à toute l’agence pour dire qu’il avait trouvé une écharpe par terre.

J’ai ensuite continué les stages chez Publicis Conseil, puis chez Marcel à l’époque où Fred&Farid ont quitté l’agence, je me suis retrouvé à travailler avec Manu&Flo qui par la suite m’ont embauché.
J’ai continué chez Publicis Conseil pendant quelques années avant de retourner chez Marcel. Manu&Flo sont partis à New York, j’ai alors fait la rencontre d’Anne de Maupeou qui m’a pris sous son aile pendant 2-3 ans, et puis un jour, ils m’appellent pour me proposer de les rejoindre aux États-Unis.

Je travaille chez JWT New York depuis un an maintenant.

Tu vois quoi comme différence culturelles entre la France et les USA dans la pub ?
Ils ont la même façon de travailler ?

En terme de conception, en France on va chercher à être malin, plus intellectuel et moins direct, alors qu’ici ils ont une facilité à faire des campagnes plus absurdes. Bien évidemment, il ne faut pas généraliser. Mais disons qu’une campagne Skittles ou Geico aurait eu du mal à naître en France.

En terme d’organisation, chaque agence a son propre fonctionnement j’imagine, mais on constate globalement cette tendance hyper procédurière, avec une armée de personnes impliquées sur un projet, des assistants dans tous les sens, chacun doit s’en tenir à un tâche bien définie, ce qui peut être soit très efficace, soit totalement contre-productif.

En France, j’ai l’impression qu’on est plus flexible, un développeur peut proposer une idée créative, un créatif peut présenter une campagne à un client, un commercial peut juger une idée avec pertinence, etc… Ce qui peut être là aussi un gros foutoir, comme quelque chose de plus efficace.

Tu es perçu comment en tant que créatif français là-bas ?
Nous ne sommes pas beaucoup de créatifs français à New York, mais il y a un gros mélange de créatifs du monde entier en agence, donc nous sommes mis dans le même panier avec les sud-américains, les européens et autres… En gros, si on a réussi à obtenir un Visa pour venir ici, c’est que nous avions fait nos preuves dans nos pays respectifs, du coup nous sommes assez bien perçus et c’est plutôt agréable.

Le temps a-t-il la même valeur ? les projets sortent + vite ? il y a plus de budget ?
Je n’ai pas l’impression que les projets sortent plus vite, mais je pense que c’est une question d’agence dans laquelle tu travailles. Je suis principalement sur des sujets luxe qui prennent du temps à mettre en place. Les budgets sont plus conséquents, mais les coûts de production sont aussi plus élevés. Donc le meilleur compromis c’est de travailler aux États-Unis et faire bosser des boites de prod Européennes ou Sud-Américaines.

Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?
J’ai commencé à travailler dans la publicité en 2006, cela fait donc 11 ans.

As-tu hésité à faire de la pub ?
Je voulais faire quelque chose de créatif sans trop savoir quoi. Plus jeune, je passais mon temps à faire de la musique, dessiner, prendre un caméscope pour tourner des courts-métrages, m’amuser avec photoshop, etc. J’ai un moment tenté de faire des études d’ingénieur du son, mais aucun studio ne prenait de contrat de qualification donc j’ai fait d’autres études et j’ai bifurqué vers la publicité. J’aurais peut-être tenté de travailler dans le cinéma, l’écriture ou la réalisation je pense.

Tu travailles avec qui et sur quoi ?
J’ai travaillé pendant 8 ans avec Nicolas Damiens, qui a arrêté la publicité pour se lancer en freelance dans le design suite au départ de Manu&Flo. J’ai ensuite travaillé avec Francis Pluntz avant de partir aux Etats-Unis où maintenant je bosse seul, ou avec des équipes différentes en fonction des sujets. Chez JWT, je travaille sur les marques Puma, Rolex et Tudor principalement.

Parles nous de 2-3 choses que tu as faites :
J’ai eu la chance de travailler avec Erik Vervroegen sur la saison 2 de la campagne Ray-Ban. C’était intense mais tellement enrichissant, il m’a appris une chose essentielle : l’exigence et la remise en question.

On n’a jamais autant proposé d’idées. Même quand des pistes l’intéressaient il demandait d’en chercher de nouvelles, c’était décourageant, mais on finissait toujours par trouver mieux, donc au final, il avait raison.
Ensuite vient l’exécution, où aucun détail ne doit être laissé au hasard. Pour la photo du Streaker, on a écumé les librairies de tout Paris, feuilleté des centaines de livres de photos pour trouver les meilleures références d’archives de concerts, de grains de photo, d’angles de caméra, de noirs et blancs, et être le plus authentique possible.
Ensuite pour chaque détail de la photo on a fait le même type de recherche. Quelle guitare ? Quel tatouage ? Quelle marque d’ampli ? Quelle fumée dans la salle ? Quelle coupe de cheveu pour le mec flou au premier plan ? Et malgré toute cette exigence, Erik a toujours été adorable avec nous, très humain et motivant, loin de l’image du tortionnaire belge qu’on peut se faire.

 

Sinon, j’ai écrit un dessin animé d’une cinquantaine de page pour occuper les enfants.

On a fait écrire un roman à une voiture.

J’ai tenté d’expliquer que la musique pouvait être utile.

Ou de montrer que pour créer il fallait se challenger soi-même en permanence.

En voir plus sur : http://cargocollective.com/juliensens

 

Tu fais quelque chose en parallèle de ton métier, des side projets, des passions ?

Je fais un peu de musique électronique sous le nom de Sox (en solo) :

ou The End (avec mon acolyte De Andria) :

Je gribouille de temps en temps :

http://cargocollective.com/drawingstuff

 

Je bricole des vidéos :

 

 

Je créé des sites contre Trump : www.donvsdon.com


 

Et avec Nicolas Damiens, on créé des typos : www.songwritersfonts.com

J’essaie de me mettre à l’écriture de scénario aussi.
Mais mon principal « side project » est avant tout mon fils.


Dans ton métier quel est ton meilleur et pire souvenir ?

On aurait envie de parler du premier Lion, d’or qui plus est, mais en vrai, je crois que ce j’adore dans ce métier c’est cette sensation inexplicable qui monte en toi quand tu trouves LA bonne idée. Celle qui arrive quand tu penses avoir fait le tour de la question, que tu as déjà pondu une cinquantaine de pistes correctes mais pas incroyables, quand tu es sur le point d’abandonner, et que le déclic se fait. Ces moments te rappellent pourquoi tu aimes ce métier.

Et les mauvais souvenirs sont ces moments où tu vois tes idées mourir. Mais c’est le jeu, et il faut rester dans une dynamique positive, donc les mauvais souvenirs sont vite oubliés.

Le truc qui t’a fait le plus halluciner ? Un regret ?

Je ne comprends toujours pas pourquoi les bannières internet existent.
Comment des agences arrivent à vendre à leurs clients cet espace au taux de clic de 0,2% ? Sachant que parmi ces 0,2% il y a les clics qui ont été faits par erreur, et ceux du client qui vérifie que sa bannière hors de prix fonctionne correctement.
Mon regret : avoir cliqué sur une bannière un jour.

Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques ?

Mes classiques sont entre autres :
Harvey Nichols “calendar” :

 

Harvey Nichols “sorry I spent it on myself” :

Guinness “surfer” :

Nike “No running” :

Sonny “Balls” :

Volvo Trucks “epic split” :

Epuron “ Mr W.” :

Ikea “Bed” :

Mais la publicité qui me passionne, ce n’est pas de la publicité.
Ce sont des idées comme l’appli Nike +, qui pour moi est du génie. Pour vendre des chaussures, l’idée c’est de faire aimer la course, et croyez-moi, j’ai longtemps trouvé que courir c’était le sport le plus chiant du monde. Mais ils ont réussi à rendre le running ultra ludique en y injectant de la gamification.

 

Google par exemple, quand tu vois Google Map quand c’est sorti, et que tu réfléchis deux secondes au travail qu’il a fallu pour prendre en photo chaque mètre carré de la planète. Tout ça à la base pour ajouter une petite fonctionnalité à ton moteur de recherche, tu dis que tu vis dans le futur.
Sinon, tout ce qu’entreprend Elon Musk est passionnant, et ce n’est pas simplement l’utopie d’un homme, il y a un véritable business model derrière tout ça qui se concrétise réellement, et qui va modifier complètement la société dans laquelle on vit.

La création de services ou de contenus, comme savent le faire Amazon, Netflix, Google, etc, ça me passionne parce qu’on est loin du spot classique qui te demande de le croire sur parole, non, on entre dans l’expérientiel et la création de services innovants.

J’adore aussi les idées simples comme ça :

REI “opt outside” :

Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ? ou en dehors des gens qui t’inspirent ?

Pas vraiment dans la publicité. Ce qui m’inspire c’est plutôt David Fincher, Wes Anderson, Charlie Kaufman, les Beatles, Nina Simone, Kubrick, Chaplin, Sagmeister, Gondry, des conférences TED, SouthPark, The Office, Malcolm, Black Mirror, des gens dans la rue, la nature…

Tu fais quoi pour changer le monde ? comment ce métier sert la société ?

J’aimerais pouvoir croire que la publicité change le monde, mais ce n’est pas suffisant. On peut à court terme changer des mentalités, peut-être amener nos clients à changer leur fonctionnement. J’ai adoré par exemple l’initiative des « Fruits et Légumes Moches » d’Intermarché, mais je ne sais pas si le monde a changé depuis.
Pour être efficace, je crois que c’est au niveau politique que les mesures doivent être prises. Tant qu’il y aura des Donald Trump qui appuieront les lobbies qui détruisent la planète, on aura beau pisser sous la douche, et acheter du bio, ça ne changera pas le monde.

Après ce n’est pas une raison pour ne rien faire, je trouve bien que les marques commencent à réfléchir à leur rôle dans la société, je trouve bien que des initiatives se lancent, comme ce jeune Néerlandais qui a eu cette idée pour nettoyer les océans et qui aujourd’hui‘hui voit le jour.


Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?

Il y a une vraie mutation du métier et surtout des médias. Les agences sont un peu perdues, et tentent chaque année de nouvelles approches. Il y a eu l’année « Guerilla 360 », suivie par le « Stunt », suivie par « les campagnes QR code », la VR, le 3D printed, l’intelligence artificielle, l’an prochain devrait être l’année de la réalité augmentée, etc. Mais au final notre métier reste le même, trouver la bonne histoire qui parle aux gens. Tout le reste ce n’est que de l’exécution.

Le milieu publicitaire va évoluer de quelle manière ?

J’ai le sentiment que les gros groupes publicitaires vont s’effondrer au profit des petites agences indépendantes. Le marché évolue sans cesse, et demande une certaine flexibilité. Et plus t’es gros, plus il y a de process, plus t’es lent. Bien évidemment ces agences en ont conscience et sont en train de revoir leurs modèles. Donc ça va être intéressant à suivre.

Si tu commençais la pub aujourd’hui, tu irais où ?

En France, j’irais dans une petite agence indépendante, type Buzzman ou Sid Lee. Ce sont des agences qui avancent avec leur époque, et qui parce qu’elles n’ont pas les moyens des gros groupes, elles ont compris que leur force c’était de tout miser sur la stratégie et l’idée créative.
A l’étranger, Adam&Eve, Wieden+Kennedy Portland, Forsman&Bodenfors.

Que dirais-tu à quelqu’un qui veut percer dans le milieu publicitaire ?

Des grandes phrases très pompeuses du genre :

« Ne choisis pas une agence, choisis un/e directeur de création qui t’inspire. »
« Tu ne travailles pas pour ton client, mais pour le client de ton client. »
« Chaque brief a du potentiel. »
« C’est peut-être un travail cool, mais n’oublie pas de travailler. »

Et ensuite, je me dirais certainement que je suis devenu un vieux con.
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