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Bonjour Idriss, quel a été ton parcours ?

J’ai grandi au Burkina Faso à Ouagadougou en Afrique de l’Ouest. Comme pas mal de métis, j’ai été en partie dans des écoles locales, puis au lycée Français Saint-Exupéry ou j’ai fait un Bac littéraire. J’ai quitté ensuite le Burkina pour la Belgique et je me suis retrouvé à Saint-Luc Bruxelles dans l’option publicité. Après trois ans un peu improbables et la certitude de finir ma vie au chômage, j’ai intégré le CAD, College of Advertising and Design en Graphisme ou j’ai eu la chance d’avoir Laurent et Jack Durieux comme professeur durant trois années. Cette formation a été essentielle, car j’ai découvert à la fois la puissance du storytelling et ma passion pour le craft et l’illustration.

À la fin de mon dernier stage, je suis tombé sur une offre pour l’agence Vanksen sans capter que c’était à Paris et deux semaines plus tard j’étais sur les grands boulevards. Ce premier pied dans la porte m’a permis d’enchaîner les expériences, en passant en team chez Isobar puis chez Biborg, une agence spécialisée dans le gaming dans lequel je suis passé Créative Director après un an. L’expérience ne m’a pas forcément plu et je voulais retourner dans la création. C’est dans cette période que j’ai rencontré Alexander Kalchev et que j’ai rejoint les équipes de DDB Paris ou je suis depuis bientôt 4 ans.   

Depuis combien d’années travailles-tu dans le milieu de la publicité ?

Ça fait dix ans cette année.

As-tu hésité à faire de la pub, tu aurais fait quoi à la place ?

La pub n’a jamais vraiment été une option à vrai dire. J’étais plutôt parti pour des études de philosophie, de bande dessinée ou d’illustration. Mais vu l’enthousiasme dégressif de mes grands parents face à mes choix de carrières, j’ai pris la seule option à Saint-Luc qui convenait à tout le monde et comportait au moins un cours de dessin.

Tu es ‘fan’ de quoi ?

En tant que bon belge, j’ai grandi avec une bonne bibliothèque de classiques de la BD : Hergé, Moebius, Bilal, Tardi, Pratt, Mézières, Druillet etc. Sinon du Kundera et Herbert, Baudelaire et Keats, Lovecraft et Nietzsche, Tolkien et Proust. Après en “Art “ au sens large, j’ai tendance à préférer les “formalistes”, en passant par Klimt, Hooper, Jame Jean, Yoshitaka Amano, François Schuiten et encore Moebius, entre deux bio de lui et l’intégralité de ses œuvres qui me font office de table d’appoint.

Sinon le cinéma avec Paul Thomas Anderson, Na-Hong-Ji, Cronenberg, Pasolini, Lars von Trier, Tarkovsky, Kubrick et tous les autres. Dernier coup de cœur avec Drive my Car de Ryūsuke Hamaguchi qui est sans doute un des plus beaux films que j’ai vus ces dernières années.

 En musique je suis à la ramasse complet. J’écoute la même playlist en boucle depuis 2010 avec un peu de The Knife, beaucoup de Pink FLoyd et je laisse spotify décider du reste.

Enfin, le jeu vidéo indépendant a été une véritable révélation et l’avènement d’auteurs majeurs qui resteront à mon sens comme ceux cités plus haut : The Witness de Jonathan Blow, Paper Please de Lucas Pope, Outer Wilds de Alex Beachum, Journey de Jenova Chen.

Tu travailles sur quels budgets, avec qui ? 

Chez DDB je bosse (ou j’ai bossé) sur Hennessy, Ubisoft, L’Occitane, Monop’, Tag Heuer, De Beers Unesco et d’autres la plupart du temps avec Alexander ou Pierre et Alexis. Sinon j’aime bien bosser solo, mais j’ai aussi bossé avec différents CR dans l’agence dont Léa Laurenza, JC Royer, Benoit Oulhen et Patrice Dumas. 

Et pas d’agence en Belgique ?

Je ne parle pas flamand du coup… je manquais 50 % du plaisir.

Parle-nous des choses que tu as faites 

Read the sources, Dernière campagne avec Léa Laurenza et Mathieu Bliguet en commercial qui ne lâche jamais rien. L’idée un peu folle de mettre à disposition des gens toutes les sources des journalistes pour lutter contre la désinformation et les fake news. Le genre d’idée ou tout le monde te dit que c’est impossible avant même de commencer avec le fameux  » journalist never share the sources « . Et puis finalement non. C’était aussi l’occasion de bosser avec les journalistes du Globe & the mail et Society sur des sujets aussi différents que le réchauffement climatique ou la pédophilie et de découvrir les réalités du travail d’archiviste.

https://readthesources.com/

Green Dawn avec Alexis Benbehe et Pierre Mathonat, un podcast qui teasait The division caché dans Ghost Recon Wildlands pour Ubisoft. En plus de la DA j’ai également fait l’illustration d’un vinyle collector qui m’a valu mes premiers prix en illustration.

https://www.youtube.com/watch?v=5mcppAbkZrA
https://www.youtube.com/watch?v=YxngsvfTpvU

Seeds of dreams. Un Tamagotchi pour l’Occitane en Provence ou les utilisateurs prennent soin des graines à l’origine des produits de la marque. L’occasion aussi de faire un peu de game design et de chara-design en s’inspirant du travail de Nintendo. Le jeu est encore jouable ici : 

https://seeds-of-dreams.merci-michel.com/fr/

case: Seeds of Dreams Case study

Question That Matter

Une campagne de print avec Léa pour la liberté de la presse et l’occasion de passer en revue les sujets forts de l’année 2020 sous le prisme de la censure. On avait certains sujets beaucoup plus chauds qui n’ont malheureusement pas survécu au process. La bonne strat de Cédric Ledoux a également bien fait la différence sur cette campagne

Dis-moi Elliot, un de mes premiers gros projets. Une expérience en collaboration avec des parents d’autistes pour recréer les principaux symptômes de l’Autisme avec mon CR de l’époque, Yann Vicherat et Cher Ami. Une expérience qui est devenue un outil éducatif utilisé dans de nombreuses écoles. Le case study à un peu vieilli, mais l’expérience était top et c’était aussi les premiers prix.

Tu as des side projets en parallèle de ton métier  ?

Depuis 10 ans je fais de l’illustration à côté de la pub sous le pseudo “ Iris d’arbre”

Une grosse série d’illu par an et des expos depuis quelques années. En 2021, première expo solo à la French Paper Galerie et première participation aux Puces de l’illustration, le festival de l’illustration contemporaine à Paris.

https://www.irisdarbre.com/

Quel est ton meilleur et pire souvenir de pub  ?

Le meilleur c’était la campagne “ The Seven world “ ou je me suis retrouvé sous la pluie avec Alexis Benbehe, Pierre Mathonat et Ridley Scott qui est parti tranquillement avec une de mes illustrations sous le bras dans ce qui semblait être un remake de la fin de blade runner.

Sinon le pire, sans doute les blagues racistes chez Isobar ou un collègue m’avait sorti “ c’est bon Mamadou, retourne dans ta case “. D’après le DC  » c’était juste de l’humour « . Ou les managers toxiques et borderline qui se reconnaîtront. Ou pas. 

C’est qui ta génération de créas, ceux avec qui tu as grandi ?

J’ai de la chance d’avoir eu un parcours assez mixte entre craft et publicité, du coup beaucoup de gens différents, dont Emilien Chiche, Lead Creative Tech chez AKQA avec qui j’ai bossé chez Biborg et qui est sans doute une des personnes les plus talentueuses que j’ai pu rencontrer. J’ai toujours du mal à comprendre comment en 2022 il n’y a pas plus de créa tech dans les agences. Remi Cabarrou Aka Roger Kilimandjaro qui est devenu une légende dans le monde du NFT, Laurent Durieux dans le monde de l’affiche alternative, Antoine Ménard de Merci Michel avec qui on partage la passion du gaming, Nicolas Mas pour le Manga. 

Sinon dans la pub plus classique, Benoît Oulhen et Mickael Jacquemin, des créatifs bien épais, Alexis Benbehe et Pierre Mathonat pour l’univers en commun, Patrice Dumas pour la blague, Clément Oberlin pour le craft…J’ai eu la chance de bosser à la même table que Jean-François Bouchet et Emmanuel Courteau qui sont deux créatifs que j’admirais beaucoup avant de venir chez DDB et qui sont devenu des amis. JF est sans doute le rédacteur le plus talentueux que j’ai vu dans ma carrière. Ou Patrice. Ou les deux. 

Sinon la rencontre avec Alexander a été évidemment essentielle. Il a une véritable compréhension du craft et pour lui un créatif doit être avant tout…un créatif. Il laisse les créas être eux même quelles que soient leurs chapelles. C’est également, humainement, un manager très agréable à vivre, ce qui est suffisamment rare dans le milieu pour le souligner. 

Quelles sont les pubs que tu préfères, tes classiques ? 

Typecast de Wieden avec feu Michael K Williams. un bijou.

Michael K. Williams talking to different versions of himself #ripmichaelWiliams

Southern Comfort 

Southern Comfort Beach advert « Whatevers Comfortable » Great attitude

Ikea beds, l’esthétique de Juan Cabral

IKEA BEDS Extended

Tag word –

TagWords – Budweiser – Cannes Lions 2018

NY times 

The Truth Is Worth It: Perseverance | The New York Times

Nike –  A little less gravity

Nike. A Little Less Gravity (Defy)

Fortnite – 13 millions de spectateurs pour un spectacle dans un JV
Travis Scott and Fortnite Present: Astronomical (Full Event Video)

Mc Millan cancer ​​Whatever It Takes – Macmillan Cancer Support Advert

et en bonus la campagne citroën de Moebius qui à défaut d’être une bonne pub à donner naissance à un des meilleurs romans graphique.

https://www.moebius.fr/Edena

Tu as des modèles de créatifs dans la publicité ou en dehors, des gens qui t’inspirent ?

La publicité n’est pas vraiment ce qui m’inspire le plus pour faire de la publicité. J’écoute beaucoup de podcast, je traine pas mal sur les forums de la GDC (https://gdconf.com/) pour mater des post mortem, des ateliers d’écritures, de dessin. De manière générale, les gens qui fabriquent des univers me fascinent beaucoup plus que ceux qui fabriquent des cases study. 

Sinon mes deux mentors restent Moebius et Jonathan Blow que je lis assez régulièrement.

Tu vois quoi comme changement entre tes débuts et maintenant ?

Les mêmes raisons qui font que mes travaux déroutait la plupart des agences il y a 6 ans sont aujourd’hui les mêmes raisons qui font qu’on me propose du boulot. Les profils hybrides apparaissent de plus en plus, les gens parlent de gaming, d’expériences, de metaverse et autres mots tendances. Mais c’est toujours aussi compliqué de produire ce genre d’idée vu que les agences n’ont que très rarement les profils en interne pour garantir une véritable expérience utilisateur dans des domaines qui sortent du tandem print/ film. 

Il y a également une surproduction d’images, un bruit permanent de tous les côtés, une saturation des réseaux sociaux qui subissent également, en plein fouet, la dictature des algorithmes. Dans tout ce bruit, trouver une idée et réfléchir à des moyens différents d’interagir avec les utilisateurs est essentiel. En parallèle, la surproduction de case study biaise complètement les résultats dans des festivals qui se focalisent tellement sur les grandes causes au point d’oublier que la base du travail reste la communication. 

Du coup les agences s’alignent, l’industrie s’autoalimente alors que les annonceurs, eux, finissent par créer leurs propres structures pour gérer eux même des problématiques que les agences ne gèrent plus. 

Dans un registre plus positif, il n’a jamais été aussi simple de tout faire. Ma formation de crypto entomologiste n’attend donc plus que moi.  

Tu peux envoyer un mail au toi de 60 ans, tu lui dis quoi ?  

J’aimerais bien qu’il m’envoie un lien stream de Elden ring 4, histoire que je prépare mon build force dex et que je donne des conseils à Jean Weessa et Cédric Trefois pour enfin améliorer leurs performances. Sinon je veux bien l’almanach des sports, comme tout le monde. 

Un conseil pour réussir quand on commence dans ce métier ?

C’est important d’avoir les bons mentors et ne pas perdre trop de temps dans des expériences qui ne vous construisent pas. Trouvez des modèles qui vous correspondent, grandissez avec eux pour devenir celui/celle que vous avez envie d’être et surtout faites ce que vous aimez. C’est un milieu suffisamment difficile et ingrat pour ne pas s’amuser sur des projets qui vous font kiffer. Plus que les prix, avoir un portfolio à votre image aura plus d’impact sur le temps et ouvrira plus de portes.

Si une agence ne vous laisse pas cette possibilité, c’est qu’il vaut mieux partir.