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INTRO

Il y a toujours ce moment, à la fois jouissif et extrêmement frustrant, où l’on découvre une super campagne pour la première fois. Ce plaisir mêlé de jalousie où l’on se dit « p*tain, quelle bonne idée ! ». Et puis parfois, en creusant un peu, une autre question nous rend encore plus jaloux : Mais comment ont-ils vendu ça ?

Vendre, c’est un talent. Au même titre qu’avoir des idées ou les réaliser. Et ce talent, c’est celui de ceux qu’on appelle en agence : les commerciaux.

Mais c’est qui les commerciaux ? Ici, c’est Marion Floch. Elle est directrice associée chez Romance. Elle a aidé Euromillions à poser la plus belle des questions aux Français. Et désormais, c’est à son tour de répondre à mes questions.

NDLR : Cette série d’interviews est orchestrée par Joseph Rozier.


Salut Marion, comment es-tu devenue commerciale dans la pub ?

Je suis tombée dedans complètement par hasard, grâce au fils de ma voisine qui travaillait chez Jean et Montmarin, une agence indépendante aujourd’hui disparue. Il m’a proposé un stage, et voilà c’était parti. Au revoir la Bretagne, bonjour la chambre de bonne à Paris.

Piquée par le métier, j’enchaine ensuite chez TBWA\Paris. Je suis chef de pub sur des gros sujets pas évidents comme Système U ou McDonald’s. Mais ma chance, c’est que la structure des comptes, à ce moment, a fait que je me suis souvent retrouvée à travailler en direct avec Guillaume Pannaud (président TBWA\France). Il m’a appris plein de choses essentielles : L’importance de l’idée et l’excellence stratégique, entre autres.

J’ai travaillé pour l’association Aides aussi. Les campagnes étaient folles, multi-primées et extrêmement craftées. C’était l’époque Erik Vervroegen. J’ai toujours trouvé que travailler pour des associations étaient une super expérience pour les jeunes commerciaux. Car l’enjeu, au-delà de vendre de la belle création ou de faire des campagnes à awards, c’est qu’il ne faut jamais se laisser dépasser par la créativité et veiller à ce qu’elle serve la cause.

Et tu es resté combien de temps chez TBWA ?

12 ans ! Et j’ai adoré toutes ces années. La décision de partir fut très difficile à prendre. Mais au fond de moi, j’avais le sentiment d’être arrivée au bout d’un cycle. J’avais besoin d’un projet et d’une structure différente. Alors, en 2018, j’intègre une petite agence avec de grandes ambitions : Romance.

C’était un pari. J’avais contacté Christophe Lichtenstein (co-fondateur de Romance). Il était OK pour me faire venir, mais à une condition : « Je n’ai pas de portefeuille client pour toi. L’idée, c’est que tu viennes pour en gagner ». Les risques étaient partagés, j’ai trouvé ça super. Je découvre le monde du new business et c’est un sacré exercice. Je n’étais pas directrice du new biz, mais la commerciale qui pilotait tout ça et qui conservait les clients derrière. En quelques mois, on a gagné de superbes clients : Euromillions, Ricard, Santé publique France, Illiko… et je m’occupe toujours d’eux aujourd’hui.

Qu’est-ce qui te plaît dans le métier de commerciale ?

On ne va pas se mentir, dans la pub, c’est avant tout les créatifs et les planneurs qui sont mis en avant. Mais j’adore ce métier et c’est important de le valoriser. Car un bon commercial sait œuvrer dans l’ombre pour que la meilleure campagne sorte.
Il sait anticiper pour créer des opportunités, préparer les conditions de vente avant même la réunion, créer des relations fortes avec ses clients, avec les équipes de l’agence, pour donner toute sa valeur aux idées. Sans un bon commercial, pas de bonnes campagnes !

Tu fais partie de l’équipe à l’origine de la campagne « Quel millionnaire serez-vous ? » pour Euromillions. Dis-nous, comment on vend une campagne pareille ?

Depuis toujours, Euromillions peignait un rapport très bling à l’argent, fait de yachts et de jacuzzis… Quand ce pitch est arrivé, il nous a semblé qu’il était temps de marquer une rupture. D’être plus en adéquation avec les aspirations des Français, l’éclatement de la classe moyenne, les inégalités combattues par les gilets jaunes à l’époque. Bref, il nous paraissait indispensable de remettre la marque dans son époque et de faire radicalement évoluer son territoire.

Toute la vente reposait sur une vérité plus haute que le gain matériel, le besoin de reconnecter les grosses cagnottes au gain humain, à la vraie vie. J’aime cette campagne car elle représente un moment que tous les Français ont vécu. Qui n’a pas passé des heures, chaque veille de tirage, à imaginer sa future vie ? Qui n’a pas dressé la liste des proches et des amis avec qui il partagerait son gain ? C’est cette bascule qui a tout changé et que l’on a illustré dans le premier film : passer d’un gain personnel à un gain collectif.

Le tour de force, c’était de proposer cette transformation lors d’un appel d’offres. C’est pour ça que j’adore travailler chez Romance. Pour l’audace, pour la force des idées. Quand on présente un tel virage stratégique à un client, c’est quitte ou double. Et ici, l’équipe FDJ a eu le courage de faire ce choix.

D’après toi, c’est quoi le secret d’une bonne stratégie de vente ?

La première clé, selon moi, c’est l’anticipation. Une vente se prépare bien en avance. Il faut détecter les signaux faibles, tout ce qui n’est pas dans le brief… Il faut passer du temps avec les clients, échanger en dehors des réunions cadrées pour être en mesure de bien capter tous leurs enjeux.

Ensuite, c’est important de penser sur une unité de temps long. Comment va évoluer mon client dans les 6 ou 12 prochains mois ? Quels seront ses enjeux ? Comment répondre à ses futurs besoins ?

Enfin, pour la vente en soi, il faut parvenir à raconter l’histoire de manière simple. Parfois, on développe trop pour montrer à quel point le raisonnement est intelligent. Et résultat, on embrouille tout le monde…

Quelles sont les campagnes où tu t’es déjà dit « mais comment ont-ils vendu ça ? »

REI OPT OUTSIDE. La campagne prend le contre-pied d’une tendance de consommation forte et implique que la marque fasse un vrai choix. Un choix qui va lui couter à court terme sur le business. C’est bold comme vente. Et tellement fort pour l’image de la marque. Il y a beaucoup de superbes idées qui peuvent très vite basculer dans le « merci mais non merci » si la vente n’est pas assez solide. C’est fou quand on pense à tout ce que la vente de cette idée implique : fermer tous les magasins de la chaine tout en payant ses employés, rassurer le client sur les retombées RP que tu ne maitrises pas toujours…  Bref, c’est fort.

Et sinon, toutes ces campagnes anglaises géniales qui forcément nous font rêver. Ils n’en ont rien à faire d’être clivants. Harvey Nichols, Sorry I spent it on myself, Marmite, ou même montrer des voleurs pour vendre une carte de fidélité avec love freebies.

Pendant les plan’s board, on a l’habitude de voir les commerciaux chercher la petite bête. À quoi fais-tu attention dans ces moments-là ?

Le plan’s board, c’est un exercice difficile pour l’équipe et surtout les créatifs. Il y a une grosse compétition entre eux. On en a conscience, alors on espère surtout que le brief était suffisamment bon pour que ça débouche sur des idées fortes. C’est important de donner la bonne impulsion.

Pendant le PB, on doit s’assurer que l’idée est juste. Le risque quand on adore la pub, c’est de se laisser embarquer par une idée géniale, mais trop loin du brief. La clé des partenariats durables avec nos clients, c’est la confiance. Ce qu’on leur amène peut être audacieux, rupturiste ou même déstabilisant. Mais ça doit être juste. C’est dur de vendre une idée qui n’est pas dans la plaque.

Quels conseils donnerais-tu à un créatif pour mieux vendre ses idées ?

La capacité à se mettre à la place de la personne qui découvre le sujet. Apprendre à pitcher l’idée de manière synthétique, donner un contexte, valoriser les forces et bascules stratégiques…

Nos clients ont des journées très différentes des nôtres et leurs réunions sont souvent bien moins sympas. Alors, il faut les aider à se mettre dans le bon mood, créer les conditions d’écoute et ne pas passer trop vite sur certaines idées en se disant qu’on parle le même langage ou qu’il y a des évidences.

As-tu des personnalités qui t’ont inspirée durant ta carrière ?

Démarrer chez TBWA\Paris m’a donné la chance incroyable de grandir dans une des meilleures écoles de la pub. Je me souviens notamment de Jean-Marie Dru racontant ses méthodes, partageant des dizaines d’expériences. C’est sans doute en l’écoutant que j’ai compris l’importance de l’anticipation. Il nous racontait, entre autres, comment durant les années BDDP, ils faisaient en sorte de toujours avoir un coup d’avance dans les compétitions. Les chemistry meetings se transformaient en présentation créa, et l’agence gagnait les appels d’offres alors que les autres n’avaient encore rien présenté. Leur anticipation les rendait redoutables !

Je parlais plus haut de Guillaume. Mais à l’époque, chez TB, j’ai aussi beaucoup appris aux côtés de David Leclabart (co-président d’Australie.GAD). David avait une forme de solarité, de confiance. J’ai beaucoup appris en le regardant faire. Et aujourd’hui, Christophe Lichtenstein chez Romance. Il a une culture folle. C’est un grand amoureux de la publicité.

Tu as des conseils pour ceux qui aimeraient faire ce métier ?

Ne pas se dire qu’il y a une fiche de poste type. Chaque commercial peut façonner son poste et ses aptitudes. Un jeune commercial doit apprendre à écrire, à penser, à craquer des axes de brief, à se faire tout le palmarès de Cannes, à aller sur Shots pour façonner son œil… Bref, apprendre à élargir ses compétences, pour être capable de s’adapter à tous types de personnalités, dans tous types d’environnements.

Et puis, je dirais que c’est un métier où il faut aimer les gens. Aimer les relations humaines, aimer s’adapter… Si tu es de nature solitaire et que tu aimes travailler en chambre, ça risque d’être difficile. Je pense qu’une bonne façon de démarrer, c’est de trouver des gens qui t’inspirent et qui t’apprennent. Et qui te font marrer tant qu’à faire, c’est un métier qu’on doit faire le cœur léger.

Quels conseils t’ont le plus servis jusqu’ici ?

« Ferme ton mac. »
Un jour Guillaume Panneau a pris le temps de m’apprendre à écrire une reco. J’étais chef de pub. Il a fermé mon mac, a pris une feuille de papier et m’a dit d’écrire ma vente en 5 phrases. Ça parait simple, mais prendre du recul, ça change tout.

Connaitre le sujet mieux que son client.
Il n’y a pas de secret, il faut bosser. Il faut maîtriser son sujet. Il faut s’en imprégner jusqu’à le maîtriser encore mieux que son client. On ne peut pas survoler un sujet, ça se voit, ça casse la confiance.

Les prix créatifs ont-ils de la valeur pour les commerciaux ?

On est toujours heureux de voir une belle campagne récompensée (ou d’aller boire du champagne au bord d’une piscine à Cannes). Mais on fait ce métier pour créer des campagnes créatives, ambitieuses, qui servent le business de nos clients. Sinon, ces derniers vont les chercher ailleurs. Donc, je pense surtout qu’un Effie à autant voire plus de valeur qu’un Lion.